Conservateur de la Réserve Naturelle de Saint- Mesmin dans le Loiret
Où travaillez-vous ?
Je travaille à la réserve naturelle nationale de Saint-Mesmin. C’est une réserve qui protège un tronçon de 9 km de Loire, quelques kilomètres à l’aval d’Orléans. Le milieu naturel le plus emblématique est la ripisylve relictuelle à certains endroits car elle a été grignotée par l’urbanisation ou l’agriculture. Il reste néanmoins un boisement de 13 ha, à la confluence de la Loire et du Loiret, rivière de 13 km issue de résurgences des eaux de la Loire. On trouve également plusieurs îles dans la réserve naturelle de Saint-Mesmin, des grèves minérales aux îles boisées. Cette mosaïque de milieux étroitement imbriqués et soumis aux fluctuations de la Loire (crues et étiages) abrite un cortège d’espèces caractéristiques de la Loire : Peuplier noir, Sternes naines et pierregarin, mais aussi la rare Gagée des Prés, petite fleur printanière protégée au niveau national que l’on trouve sur les pelouses sableuses.
La réserve naturelle de Saint-Mesmin est gérée par une association, Loiret Nature Environnement. Nous sommes une quinzaine de salariés au sein de cette association, et 4 personnes composent l’équipe de la réserve.
Quelles sont vos principales missions ?
Ma principale mission est celle qui caractérise tout garde d’un espace naturel réglementé : mission de surveillance, d’information du public, constatation des infractions et verbalisation le cas échéant. Ma présence sur le terrain me permet aussi d’assurer la veille écologique du territoire et de signaler l’observation de telle ou telle espèce, de suivre l’évolution des milieux naturels et ponctuellement, de participer aux suivis scientifiques.
Une autre mission essentielle consiste à être la personne relais, entre la réserve et les acteurs qui interviennent sur ce territoire. Autres gestionnaires souhaitant intervenir sur le terrain (Pôle Loire de la DDT pour des actions de prévention contre les crues, Réseau de Transport d’Electricité pour des interventions sur la végétation sous les lignes hautes-tensions), chercheurs ou naturalistes spécialisés menant des études spécifiques, mais aussi agents techniques des communes riveraines de la réserve, usagers ou riverains. Je m’occupe également de la coordination des travaux de gestion: ouverture de milieux, lutte contre les espèces invasives…
Proche de la ville, la réserve naturelle de Saint-Mesmin est traversée par des sentiers de promenade. Avec l’aide d’un apprenti, je veille à maintenir ces accès praticables (entretien de la végétation notamment) et à donner un maximum de lisibilité aux limites de la réserve avec le maintien d’une signalétique en bon état. J’interviens enfin en appui à notre animatrice, pour des interventions lors de sorties avec des scolaires de tous niveaux (de la maternelle aux Master !), ou lors de formations pour des professionnels.
Quel est votre cursus/expérience ?
Je suis diplômé d’un BTSA Gestion et Protection de la Nature, avec les spécialités Gestion des Espaces Naturels et Animation Nature. J’ai ensuite intégré les Parcs nationaux après l’obtention du concours d’Agent technique. J’ai ainsi exercé le métier de garde-moniteur au Parc national de la Vanoise, dans le secteur de Bonneval-sur-Arc de 2001 à début 2008. J’ai pu côtoyer de nombreux collègues des parcs bien entendu, mais également de l’ONCFS et de l’ONEMA venant nous rejoindre grâce au jeu des mutations. J’ai ensuite choisi de quitter les sommets alpins pour retrouver ma vallée natale en bord de Loire, grâce à l’ouverture d’un poste de garde-technicien à la réserve naturelle de Saint-Mesmin, lors de la création de la réserve.
Depuis combien de temps faites-vous ce travail ?
Je suis donc en poste depuis bientôt 10 ans et j’ai pu façonner mes missions, grâce à l’expérience acquise en Vanoise. Le milieu naturel n’est pas le même, mais les gens restent les mêmes et les approches similaires. J’ai pu ainsi prendre petit à petit plus de place dans les discussions avec les acteurs du territoire (élus notamment), alors que le contexte local restait tendu suite à la création de la réserve. Grâce à la confiance du Conservateur, j’ai mis en place des projets, tels que création d’un sentier pédagogique, rencontre des acteurs dans le domaine de la gestion de l’eau, préparation de conventions avec les propriétaires pour la mise en place de mesures de gestion.
Mon collègue partant à la retraite début 2018, j’ai postulé pour prendre la place de Conservateur, ce qui sera effectif prochainement. Je conserve les missions de police, avec le projet de former le nouveau garde que nous venons de recruter et lui faire découvrir la sensibilité et les richesses de ce territoire et de ses acteurs. L’occasion de garder un pied sur le terrain entre les tâches administratives qui seront plus importantes, mais avec ce nouveau challenge palpitant !
Quelle(s) partie(s) de votre travail préférez-vous ?
J’apprécie particulièrement la polyvalence : la possibilité de faire de la veille écologique un jour, de la botanique le lendemain, la rencontre de nombreux spécialistes qui partagent leurs connaissances, une discussion fortuite avec des promeneurs sur un sentier… il n’y a pas de place pour la routine !
J’aime beaucoup aussi la possibilité que l’on a dans cette petite structure associative de mener des projets de bout en bout : prise de contacts auprès de financeurs potentiels, montage du dossier, présentation aux acteurs locaux et réalisation concrète in fine.
Enfin, j’aime ces petits moments magiques où l’on tombe nez à nez avec un chevreuil au petit matin, où le papillon vient se poser juste devant l’objectif de l’appareil photo, où l’on se laisse glisser en canoë et que le Castor sort tranquillement de son terrier juste devant le bateau pour se mettre à l’eau sans un bruit, où le Balbuzard pêcheur plonge sur sa proie et ressort avec un poisson dans les serres devant nos yeux ébahis… bref, tous ces petits cadeaux qu’offre Dame nature et que l’on glane au hasard du quotidien.
Quelle est l’anecdote qui retrace le moment le plus fou/dangereux/drôle que vous ayez vécu dans l’exercice de vos fonctions ?
Il y a un site, à la confluence de la Loire et du Loiret, qui concentre la fréquentation en période estivale. Ce coin de la réserve prend pour quelques semaines des allures de plages et les visiteurs urbains se pressent pour profiter de la fraîcheur de l’eau de la rivière ou pour se dorer au soleil.
Lors d’une tournée de surveillance, alors que je m’approchais de ce site, j’entends tout à coup un bruit de tronçonneuse… j’accours et tombe sur un père de famille, en short et tongs en train d’attaquer un des gros troncs de Peupliers tombé au sol lors d’une tempête. Autour de lui, une trentaine de personnes, en maillots de bain pour la plupart, que rien ne semblait perturber. J’interromps tout de suite le Monsieur, lui rappelle qu’il est dans une réserve naturelle, que toute atteinte aux végétaux est interdite… et ne peux m’empêcher de lui demander quel était son projet. Sans sourciller, il me répond qu’il a apporté sa tronçonneuse pour tailler dans le tronc des petits bancs pour que le pique-nique soit plus confortable pour toute la famille ! Déstabilisé, je ne l’ai pas verbalisé, mais lui ai demandé de rapporter la tronçonneuse au parking… situé à 2,5 km de sentier ! Il avait bien fait l’aller avec la glacière dans une main et la tronçonneuse dans l’autre, il pouvait bien faire le retour en étant moins chargé ! Pour plagier Obélix, je conclurais en disant « ils sont fous ces humains ! ».
Quel est le moment le plus mémorable ?
Un des moments le plus mémorable est sans doute l’arrivée de la Loutre d’Europe dans la réserve. Ce matin du mois de mars 2013 où le Directeur du Muséum d’Orléans, spécialiste de l’espèce, m’a appelé pour me dire qu’il avait trouvé des épreintes (crottes de loutre), ce fût l’euphorie. J’ai passé la semaine qui a suivi à ratisser les berges pour tenter de trouver de nouveaux indices de présence et j’en ai trouvé ! Puis pendant 2 années, plus rien… Après un retour timide, les indices ont été à nouveau plus fréquents et le nouveau challenge a été de photographier l’animal, puis de réussir à le filmer avec un piège photographique. Après de longues semaines de cache-cache avec la belle, j’ai pu filmer une petite séquence, pour mon plus grand plaisir. Les crottes, c’est bien, mais voir son comportement en vidéo, c’est mieux ! L’étape suivante est l’observation directe, mais pas sûr que ce soit pour tout de suite…
Pourquoi est-ce que votre travail est important à vos yeux ?
Ce travail me semble important à plusieurs niveaux. Tout d’abord, travailler dans un espace naturel protégé permet d’apporter ma petite pierre à la protection des espèces rares et menacées. Une réserve, un parc, sont des réservoirs de biodiversité et c’est important à mes yeux de participer à cette protection pour les générations futures.
Plus près de nous, le travail d’information du public, de sensibilisation à la richesse de la nature ordinaire me semble encore plus important : quel est l’intérêt de ne faucher pelouses et prairies qu’en automne ? Pourquoi laisser des arbres morts ? Et le lierre, vous êtes certains qu’il est utile ? La ronce par contre… On répète, on explique, inlassablement… mais quelle récompense quand le public, enfants ou adultes, découvre toutes ces petites choses de la nature qui lui étaient complètement inconnues qui lui font naître des étoiles dans les yeux. Quelle satisfaction quand on perçoit que le regard a changé, qu’on a réussi à faire naître un intérêt, l’envie d’en savoir plus, le souhait de modifier ses pratiques au jardin pour laisser plus de place à la nature sauvage… Là, je pense sincèrement que l’objectif est atteint ! Mais ce n’est pas encore le cas pour tout le monde… Alors, courage, persévérance et émerveillement … et les choses changeront !